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Cet amant fut bien élevé. Il émit une quantité convenable d’épithètes élogieuses et de balbutiements flatteurs. Son exaltation se maintint durant toute l’entrevue, avec des crises même qui attestaient un esprit vraiment bouleversé.

Pourquoi, néanmoins, n’éprouva-t-elle qu’une joie incomplète ? Était-ce pudeur ? Non : la beauté n’en a pas. Remords ? Non plus : la beauté exige qu’on la montre.

Elle recommença l’expérience plusieurs fois, et elle étudiait son amant, la qualité de ses gestes, la valeur de ses mots, la signification de ses silences. Elle ne découvrit rien.

Elle en prit un autre. Une déception analogue l’attendait.

Elle en prit un troisième, puis un quatrième, et beaucoup leur succédèrent. Chutes vaines ! Peut-être les lassait-elle par la monotonie de son humeur ? Elle fut tour à tour capricieuse, froide, perverse, ironique et romanesque. Travestissements inutiles !

Nul échec ne l’avertit qu’elle s’abusait sur elle-même. L’époux n’était-il pas là, instrument commode d’où elle tirait, à sa guise, l’hymne d’extase que réclamait sa fatuité ?

D’ailleurs, mieux que de vides protestations, l’abondance de ses conquêtes la tranquillisait. Les augmenter devint son unique but. Aucun ne la refusa, titre de gloire qu’elle enregistrait avec complaisance. Comme elle méprisait telle de ses amies réduite depuis dix ans au même amant ! On la citait cependant pour sa grâce. Bien piètre, cette grâce dont un seul être acceptait le joug.