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Elle en pensa mourir, et même y fut un moment résolue, tant la nuit était noire où retombait son âme extasiée. Des devoirs étrangers l’en empêchèrent. Elle les maudit, car la vie l’importunait.

Lui, la fièvre du voyage apaisée, son installation définitive, il sentit l’horreur de l’exil. Il s’en épouvanta. Le pourrait-il supporter, ainsi que de ne plus baiser les molles lèvres de sa maîtresse et de ne pas boire jusqu’à la dernière goutte cette coupe d’amour tardif que lui offrait le hasard ?

Comme elle, la mort l’attira. À temps, il reçut une longue lettre, poème de sanglots et d’égarement. Cette douleur apaisa la sienne en la lui rendant plus chère et comme sacrée. D’ailleurs, l’absence serait brève, et quelques mois, une année, deux au plus, ne prévaudraient pas contre une telle affection.

Ils s’écrivirent régulièrement. Chaque jour, ils rédigeaient un journal minutieux de leurs actions et de leurs pensées, et ils l’expédiaient aux époques du courrier.

Ils notèrent que ces lettres présentaient de curieuses analogies. Elles trahissaient les mêmes ardeurs et les mêmes angoisses. Et une même progression, également lente et sans à-coup, les amena doucement à de vagues paroles d’espoir, puis à des remontrances mutuelles sur leur découragement, puis à une superbe sérénité faite de douleur consciente et orgueilleuse.