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Loin de Morège, elle recouvrait un peu de gaieté. Lui présent, elle tremblait de honte. Elle avait froid. Il lui semblait que ses vêtements ne la cachaient pas assez fidèlement, et elle s’emmaillotait de châles et de fichus.

À la longue, elle crut s’apercevoir que la conduite de Morège se transformait. Il ne devint pas plus empressé, mais il rôdait toujours autour d’elle, amusé sans doute par le spectacle de son trouble. Elle l’observa furtivement. Il avait un visage dur, l’attitude hautaine, la phrase rare et des mots ironiques qui s’accordaient avec l’expression générale de sa physionomie.

Leurs yeux, une fois, se rencontrèrent. Elle rougit. Lui, son ironie se précisa en un sourire vague. Elle ne l’imagina plus que de la sorte, la moquerie aux lèvres. Il la hantait. Pourquoi raillait-il ? Son orgueil, autant que sa pudeur, la soulevait contre cet homme. Personne avant lui n’avait contemplé le mystère de sa chair, personne, ni son mari ni elle-même. Elle était vierge de tout regard, comme de la neige au coin de quelque roche inaccessible. Et le viol de cette blancheur l’avait déchirée plus que, jadis, la ruine de sa chasteté.

L’heure du lever surtout lui était odieuse. Il fallait s’occuper de cette chair polluée, qu’elle prenait en horreur. Des coins de peau luisaient. Elle répugnait à y toucher.

Épouvantable supplice ! Elle avait la sensation étrange d’être enfermée dans un vêtement de regard, dans l’enveloppe impalpable que les yeux de Morège avaient instantanément tissée autour de son corps. L’épiant, elle pensait : « Entre ces paupières d’homme est ma prison. Je suis l’esclave enchainée. Il n’a qu’à fermer les yeux, et son souvenir a le droit de m’évoquer telle que je suis. C’est plus qu’un droit, peut-être aussi une nécessité. Qui sait si je ne le