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Cette intuition le rendit songeur. Il cessa ses visites au concierge. Son visage marquait l’effort des laborieux enfantements qui transforment une vague idée en une résolution fixe et irrévocable.

Or, un matin, il arriva ceci : Alcide passait devant la loge d’un air dégagé, en sifflotant, quand le concierge l’appela :

— Monsieur Chapeau, monsieur Chapeau, il y a des lettres pour vous.

— Ah ! bien, prononça M. Chapeau tout simplement.

Il y en avait trois : l’une munie d’une enveloppe distinguée, une autre portant l’en-tête des magasins du Louvre, la troisième, carte postale, où Alcide put lire aussitôt une demande de secours.

Le lendemain, il en reçut quatre. L’une d’elles exhibait une couronne de comte, cerclée d’une devise. Le surlendemain, deux courriers apportèrent cinq lettres. Et cela s’accrut. Bientôt, d’une façon définitive, à chaque courrier, il y eut quelque chose pour M. Alcide Chapeau.

Sa situation subit un changement immédiat. Le concierge devint obséquieux et bavard. Les autres locataires le saluaient très bas dans les escaliers. Lui-même prit de l’aplomb. Au café, on le considérait.

Comme il se félicita de son stratagème ! Les délicieuses nuits qu’il employait à tracer sa propre adresse sur toutes ces enveloppes ! Il fallait une rude attention pour que l’écriture ne fût jamais semblable. Et quelle imagination pour varier l’état social apparent de l’expéditeur ! Nul détail n’était négligé : ni le parfum, ni la couleur de l’encre, ni la position du timbre, ni le cachet. Les