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Il mentit malgré lui, pour qu’on l’aimât. L’élue possédait un idéal. Il fallut bien s’y conformer, devenir le personnage décrit, se travestir, se grimer, s’affubler des sentiments indispensables. Il tint son rôle à merveille. On l’agréa. En sorte que, durant deux ans, il apporta toute son attention à ne pas dire un mot sincère et à ne pas faire un geste naturel.

Est-ce une nécessité ? Ne vit-on jamais en mâle franchise ? Quelle amertume !

Mais un hasard le rapprocha d’une de ses cousines, une enfant presque, dont s’ouvrait l’existence mondaine. Il reprit espoir sous le charme de ses grands yeux naïfs où luisaient de jolis instincts et de fraiches songeries. Mieux qu’ailleurs s’épanouit la fleur de vérité dans l’âme des vierges. C’est là qu’on l’y peut cueillir, et non parmi les liaisons furtives, champs de bataille d’intérêts opposés et d’orgueils en rut.

Il l’épousa.

Et le soir il se mit à genoux près du lit nuptial. Ayant, regardé longtemps son cher trésor d’innocence, il dit gravement :

— Écoutez, Jeanne, tout amour est susceptible de lassitude. Soit. Du moins l’affection, la confiance demeurent. Et cela suffit. Mais il est un principe de mort qui tue l’amour, qui tue l’affection, qui tue la confiance. C’est le mensonge. Le mensonge est odieux. Il flétrit comme un vent de poison, la foi s’effeuille, la tendresse se fane. Jeanne, je vous fais le serment solennel de ne jamais vous mentir. J’implore de vous la même promesse.

Tout émue, elle répondit :

— Je n’ai jamais menti, Pierre.

Il eut un sourire de bonheur et continua :