Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y eut un silence sacré. Leurs yeux s’unirent. Il n’osait plus baisser les siens, par crainte d’apercevoir le corps maternel. Elle avait un visage calme que ne troublait aucune honte. À son tour, il se sentit pénétré d’une grande paix.

Durant trois heures il travailla, se retournant parfois pour qu’elle pût se reposer, car tout geste surpris eût détruit la pure sérénité d’art que dégageait cette chair immobile. Ils s’enveloppaient aussi de silence, comme d’un vêtement propice. Et dans une grande secousse d’exaltation qui abolit les murs de son cerveau et déchira le voile de ses yeux, Georges enfanta l’œuvre. Elle vint au monde, en ébauche de perfection, toute palpitante de vie, prête à mûrir au soleil d’idéal qui luirait encore pour elle. Il la pétrit de ses larmes. Il la modela de ses mains et de ses lèvres. Et dans la vie de la matière, naquit le frisson d’une âme.

La nuit se glissa par les vitres. Ils attendirent qu’elle fût compacte, et à la longue, Georges était gêné de savoir à quelques pas de lui, sa mère, nue. Mais il saisit le bruit d’une porte. Jusqu’au dîner il ne bougea pas, anxieux de leur rencontre.

Un timbre l’appela. Il vint, et sous la lampe claire, il la vit toute rouge et tremblante.

Un immense amour, plein de tendresse et de pitié, l’agenouilla devant elle.