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l’Etna, rose de soleil ; les rives de Sicile et d’Italie, bordées de mer bleue. On est très haut, parmi les colonnes d’un temple grec, dans l’immensité. J’avais élu cet endroit, entre mille, le plus digne de ma mort. J’y passai des jours, attendant. Et peu à peu, phénomène que je me refusais à constater, des tristesses m’alourdissaient. Je regardais et mon regard d’admiration se voilait de larmes. Et un soir, l’écroulement se produisit… oui, monsieur, un soir, tout l’infini du monde visible, je le sentis, l’infini tout entier se rua sur moi et me terrassa, et je m’écriai, pantelant :

— Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir.

» C’était la vie de ce monde où je ne cherchais que l’ivresse et qui sournoisement se mêlait à mon souffle et le ressuscitait. Elle avait raison de moi. Elle est trop belle, voyez-vous. J’aimais les paradis terrestres, leurs floraisons, leurs parfums, leurs harmonies. Comment me déterminer à les fuir ? Les paradis du ciel ne les valent peut-être pas.

» Qui me donnerait, désormais, la haine de l’existence ? La nature m’avait abreuvé d’amour et de regrets. Restait l’humanité, toujours méprisable et infâme, source jamais tarie d’immondices et de boue. À son contact, ne trouverais-je pas l’écœurement ?

» Ce contact, mon expérience m’induisit à ne le point subir ailleurs que dans nos villes de province, afin de l’éprouver dans toute sa force malfaisante. Ayant demeuré jadis ici, j’y vins. Aujourd’hui, je suis sauvé, j’abhorre la vie. »

Il s’approcha de moi et se mit à parler très bas, d’une voix mystérieuse, comme s’il m’eût dévoilé des secrets surnaturels. Même, il me prit la main et l’appliqua sur son front par un mouvement bizarre d’illuminé qui veut transmettre sa pensée obscure. Et il prononça confidentiellement :

— Les âmes ont une odeur.