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dissous dans l’infini, parmi l’azur, parmi les fleurs… Amalfi ! c’est à mi-côte un ancien couvent, une longue allée où des lucioles clignotent comme des yeux, et comme les deux dernières apparues, mes yeux s’éteignent, s’allument, s’éteignent pour toujours, tandis qu’en bas, la mer chante… Lucerne, lac de poésie… le Rhin, fleuve de mystère… Écosse, vallées de tendresse… Bretagne, forêts de légendes… Et des coins plus intimes, plus à moi, les bois de Saint-Honorat, où passent des visions de vierges grecques… et les gorges du Tarn, abîmes où l’eau parfois se fige, profonde comme de l’eau de miroir… En vérité, pour moi la mort n’est pas la fin, c’est la promesse d’une apothéose, et j’ai comme un égarement, non de peur, mais d’hésitation… Je veux mourir… mais où ? Quelles choses susciteront la fièvre de mon dernier regard ? Nice ? Venise ? Grenade ? Syracuse ? Où mourir, mon Dieu, où mourir ?

Je l’ai revu, ces jours-ci, dans une vieille cité des bords de la Seine, magnifique entre toutes par la gloire de ses églises. Il m’effraya. La peau de son visage s’appliquait strictement sur ses os. Elle était livide. Il me dit :

— C’est ici ma sépulture.

Je l’approuvai, prônant l’art et les cathédrales. Il m’interrompit :

— Ce n’est pas cela, ce n’est pas cela. D’ailleurs, comment pourriez-vous deviner ? Votre psychologie s’arrête aux vivants, le cerveau d’un moribond, une énigme…

Sa voix et son attitude me semblèrent plus mélancoliques. Je le soupçonnai de faiblesse, maintenant que le terme se précisait. La preuve en fut cette exclamation sourde :

— J’ai failli.

Je dois, pour rendre compréhensible l’explication qu’il me fournit en phrases incomplètes, la développer, la traduire, de même que ses gestes et sa physionomie me la traduisaient à moi.

— Taormine, quel éblouissement !