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CONTE DU DIMANCHE

ESSENCES D’ÂMES


Mon voisin baissa la glace de son côté. Un courant d’air s’établit dans le compartiment. Mais, quelques instants après, sortit d’un monceau de couvertures et de châles un jeune homme qui releva la vitre. Le premier voyageur bougonna :

— On étouffe.

Ce à quoi, d’une voix simple, sans bravade ni tristesse, le jeune homme répondit :

— Je vous demande pardon, je suis poitrinaire.

Plus que le mot peut-être et sa signification atroce, la manière dont il fut prononcé troubla les assistants. Ainsi quelqu’un pourrait dire avec la même insouciance du mal prétexté : « J’ai le rhume », ou : « Je tousse beaucoup. »

Une même impression de gêne, visible dans les regards échangés, nous réduisit tous au silence. À peine osait-on remuer. Personne ne se plaignit de la chaleur.

J’ai revu deux fois ce singulier personnage, le surlendemain, puis six mois plus tard, la semaine de sa mort. Le double état d’âme où je le surpris à ces deux dates mérite, je crois, d’être exposé.

La première rencontre se fit à Ouchy, dans un de ces vastes hôtels dont les jardins ombreux descendent au bord du lac de Genève. Je l’aperçus de grand matin, en un fauteuil d’osier, parmi les