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En route, on s’arrêtait une heure, le long d’une rue déserte, à l’ombre. On avalait un morceau, puis la plupart des hommes se confectionnaient une sorte de lit avec des sangles, sous l’échafaudage de la charrette, et dormaient. Achille, non. Verania n’avait-elle pas besoin de lui ? C’était un véritable chagrin quand une tache de boue la souillait. Il ne pouvait l’enlever avant qu’elle ne fût sèche, et la flétrissure demeurait, vilaine et déshonorante.

Ses collègues finirent par se moquer de lui. Un jour, l’un d’eux, affectant de se tromper, s’empara de la voiture. Achille bondit sur le mauvais plaisant et le bouscula. Il suffoquait, pâle de colère, prêt à une lutte acharnée. L’autre, stupéfait, murmura :

— T’as donc de l’amour pour elle ?

— De l’amour ? se dit Achille. Tiens, pourquoi pas ? Elle est assez belle.

Dans sa pensée, il ne se donnait pas le mal de séparer la chanteuse de son image. Et, confondant les deux, il offrait à l’une ce qu’il ne pouvait offrir à l’autre : ses soins, sa protection, son assiduité. Désormais, même, posé en défenseur de Verania, il s’exagéra l’importance de son rôle. Verania fut à lui,