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Mais, alors que cette idée l’effleurait, l’ermite s’approcha de lui et, montrant du doigt le ciel, prononça cette parole :

— Espérance !

Espérance ? se demanda-t-il, une fois seul. Espérance de quoi ? de la guérison ? Et après ? du bonheur ?

Il tressaillit à ce mot. Jamais il ne goûterait le bonheur, parce que jamais il ne saurait le découvrir.

Et il se rappela sa rupture. Il aimait, Marthe l’aimait. Il avait la félicité. Et il ne s’en était pas aperçu.

L’âme n’est donc clairvoyante qu’en face de sa misère, et son regard se voile quand il s’agit de son bonheur ?

On a franchi le seuil du paradis, on s’y promène, on s’y grise du ciel bleu, des fruits vermeils, des fleurs étranges. Mais l’homme est si coutumier de souffrir qu’il se croit en un lieu de supplices et qu’il s’évade du paradis.

Les yeux fermés, les mains en avant, éternellement on marche, on marche en quête du bonheur. Tout chagrin, on l’agrippe au passage. Et la moisson est abondante, gerbe de sanglots et de tourments, que l’on presse sur sa poitrine et que l’on entre dans son cœur.

Mais, si, par hasard, les doigts cueillent le lys de béatitude, le parfum en est tellement nouveau et la forme étrangère qu’on le laisse tomber, dédaigneusement.

Nous ne savons pas, nous ne savons pas. Semblables à des aventuriers qui chercheraient de l’or sans le connaître et rejetteraient la pépite trouvée, nous passons notre vie à chercher ce que nous ne connaissons pas.