Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils eurent quelques jours heureux. Mathilde, anxieuse, épiait l’approche de son amant. Un simple peignoir l’enveloppait. Et, tandis qu’il questionnait Vourdane, elle écartait les pans de son vêtement et montrait à Paul sa nudité superbe.

Mais avec le temps grandit en eux la tristesse insondable de leur amour.

Tout amour, pour n’être point trop douloureux, exige différentes joies : la joie de se voir, de se contempler, de s’appartenir, et aussi la joie de causer. Cette joie leur manquait. On a tant de choses et tant de choses à se dire quand on s’aime ! Ils ne pouvaient se les dire. Ils ne connaissaient pas le tremblement des voix qui murmurent les phrases tendres. L’un ne saurait jamais comment l’autre prononçait : « Je t’aime ! »

Oh ! l’horrible supplice ! Ils se regardaient indéfiniment, et leurs lèvres épelaient les mots, tous les mots qu’ils n’avaient pas le droit de clamer. Ils étaient condamnés au silence, au monstrueux silence. Les supplications du désir, les cris d’extase, les admirations bruyantes, les balbutiements de volupté, les calmes entretiens après les emportements farouches, tout leur était interdit. Silencieusement, sans un bruit, ils devaient s’embrasser, se prendre, s’en aller.

Et les gestes embarrassés, le souci d’éviter les froissements d’étoffe, la peur de bousculer quelque chaise ou de heurter un objet, l’enlacement interrompu, quelle torture ! Rarement ils obtenaient la minute de répit indispensable :