Page:Leblanc - Les Heures de mystère, paru dans Gil Blas, 1892-1896.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’il fût muré, lui, dans la prison de son cerveau, soit. Mais alors qu’elle le fût, elle aussi, dans la prison de ses murailles et qu’elle ignorât les champs de fleurs, les couchers de soleil, les feuilles jaunissantes, la gaîté des printemps et la pourpre des automnes. Quelle volupté farouche de la garder auprès de lui, cette belle plante généreuse ! de l’isoler de la lumière et de la chaleur, de lui imposer son existence d’aveugle et d’estropié, à elle, la vivante créature aux sens intacts !

Combien d’années durerait ce supplice ? « Toute ma vie », se disait Mathilde. Car elle répugnait à souhaiter la mort de son mari. Et elle conforma ses habitudes et ses projets à cet avenir abominable.

Seuls persistaient ses rêves, de pauvres rêves obscurs où ne germait nul désir de bonheur ou de consolation, des rêves de tranquillité, de liberté, de marches à travers bois et à travers plaines, selon l’ordre de son caprice.

Hélas ! ces rêves même, il en prenait ombrage. Il les interrompait brusquement :

— À quoi penses-tu ?

Elle ne savait pas. Elle devait inventer quelque histoire. Et il l’obligeait à de fastidieuses et interminables conversations.

Ainsi s’écoulèrent trois années. À cette époque, l’état de Vourdane empira. L’ouïe était atteinte. Il manda le médecin. Celui-ci conseilla :

— Écoutez : J’ai là mon fils Paul, qui vient d’être reçu docteur et qui se repose quelques mois à la maison. Il vous soignera mieux que moi : c’est sa spécialité.

Vourdane accepta. Le lendemain, Paul arrivait. C’était un grand jeune homme d’apparence robuste et de visage grave. Il interrogea le malade, de près, de loin,