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L’INTOLÉRABLE SILENCE


À Jean Ajalbert.

Sur les instances de son père, Mathilde, créature de dévouement et de loi, épousa le riche Vourdane, de vingt ans plus âgé qu’elle.

Ils habitèrent, au bord de la Seine, le long de la route, une maison spacieuse. Deux années d’union permirent à la jeune femme de satisfaire ses instincts de sacrifice, d’obéissance et de passivité. Lui, dur et brutal, la tyrannisa. Elle eut recours au rêve. Et l’eau changeante du fleuve emportait vers l’inconnu ses vagues songeries.

Or un mal épouvantable, châtiment de débauches anciennes, terrassa Vourdane, éteignit ses yeux et paralysa ses jambes. On l’étendit sur un lit. Il n’en devait plus bouger.

Mathilde le veilla, et peut-être trouvait-elle une certaine douceur à ce rôle de garde-malade. Mais le caractère de l’aveugle s’aigrit. Il devint méchant, despote, jaloux surtout. Au retour des rares promenades qu’il lui tolérait, il la pressait de questions.

— Qui as-tu vu ? À qui as-tu parlé ?