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Or, un soir de poursuite haletante, comme j’étais seul et qu’elle allait disparaître, je l’étreignis rudement à la taille et l’emportai vers ma demeure ainsi qu’une victime. Elle ne résistait pas. Nous courions presque, sans un mot, à travers l’ombre chaude. Ma main folle se crispait aux luxurieux trésors et de grandes forces déchaînées exaspéraient ma hâte de vainqueur. Il me semblait que si je ne la dévêtais pas avant telle minute précise, si mon regard ni mes lèvres ne la conquéraient, l’ordre de l’univers en serait bouleversé.

Et dans la chambre close, j’immolai la robe délicate et les linges frêles, comme j’eusse fait d’ennemis implacables. Et le corps surgit. Et mes regards et mes lèvres en jouirent. Et la divine chose m’appartint.

Alors seulement j’eus conscience qu’elle n’avait point voulu découvrir son visage, et c’était un étrange spectacle que ce corps nu et cette tête enveloppée d’une mantille noire. J’en souffris et j’avançai la main. Mais elle colla ses poings contre la dentelle en criant :

— Non, non, pas cela…

Je murmurai :

— Pourquoi ? ne dois-je pas vous connaître ?

— Je vous en supplie, dit-elle, je suis si heureuse ! je rêvais tant d’inspirer le coup de folie brutale où je serais violentée et soumise… J’attendais que l’un de vous se ruât sur moi. C’est vous… Ne gâtez pas mon bonheur.

Elle avait une voix jeune et douce. Je faiblis. Elle ajouta tendrement :

— D’ailleurs regardez ce que je vous donne… Êtes-vous à plaindre ?

Non, je ne me plaignis pas, et quand elle revint chaque soir, je ne songeais qu’au jardin magnifique dont elle me conviait à cueillir les fleurs de chair et