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En vérité c’étaient deux honnêtes femmes, honnêtes en action, honnêtes en pensée et en rêve. Elles condamnaient les fautes de leurs amies, Henriette avec une révolte sincère, Suzanne avec une indulgence dédaigneuse. Au fond elles se sentaient d’une autre essence, réfractaires au vice par tempérament, par habitude, par instinct, par éducation. Et elles en tiraient vanité.

Ces analogies, qu’elles ne devaient jamais deviner, établirent immédiatement entre elles une sympathie qui les rendit bavardes, exubérantes, prêtes aux crises d’expansion. Et sans plus tarder, sitôt finies les banalités indispensables, elles s’accablèrent de confidences et de mensonges. Elles passèrent une après-midi délicieuse.

Le soleil se coucha. Il fallait partir. Elles s’y résignaient quand un jeune homme vint s’asseoir en face d’elles, et les dévisagea de façon impertinente.

Henriette dit :

— Comme il se trompe, le malheureux !

Suzanne répondit :

— Oui, il s’adresse mal.

Tout de suite, elles vantèrent leurs principes. Mais mutuellement elles s’accusaient d’hypocrisie, aucune d’elles n’admettant de rivale en vertu. Aussi, par condescendance pour les goûts supposés de sa nouvelle amie, madame Radouin avoua, contrairement à ses idées :

— Comme c’est amusant d’être admirée, même d’un inconnu !

Et madame Dufriche répliqua, pour les mêmes raisons :

— Moi, ça me passionne.