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obstiné. Mais on peut également les prendre à autrui. Et ce moyen supprime le labeur, la fatigue, les privations. Et vraiment, il en avait fait l’expérience, c’est chose facile que de l’employer.

Il ne se demandait pas si les actions qu’il projetait sont justes ou injustes, si c’est bien ou mal de voler. Non. Il s’apercevait que les obstacles échafaudés entre la propriété des uns et les besoins des autres sont de purs mensonges, de vaines menaces. L’adresse légitime le vol, puisque, au cas où il n’est pas inquiété, le voleur devient possesseur.

Ces raisonnements ne se formulaient pas en son cerveau obscur. La conclusion seule, au point de vue pratique, s’en dégageait très nette. Il volerait. Des gens sont riches, abondamment pourvus des biens de la vie, — il leur déroberait ce qu’il lui fallait pour lui, pour l’existence, pour le bien-être et pour les plaisirs de sa fille.

Toute la nuit, il bâtit des plans ingénieux. Il s’exerça dans son nouveau métier. Il réfléchit aux précautions nécessaires. Et, au matin, comme l’enfant s’éveillait, il se leva, saisit la poupée, et dit :

— Vois-tu, chérie, tu en auras beaucoup encore et de plus belles, et tu auras des bas de laine, des robes chaudes, du pain, des gâteaux…

Elle l’interrompit, joyeuse :

— Et c’est le petit Noël qui me donne tout cela ?

Il fit un effort de méditation et répondit :

— Non, mais c’est lui qui m’a indiqué comment je dois agir pour te le donner.

MAURICE LEBLANC
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