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— Eh bien, pleure pas, l’enfant, je vais tenter la chance encore.

Il partit. Deux heures, dans la nuit, il erra. Les passants, très rares, marchaient vite, les coudes serrés au corps. Il débitait son histoire, mais vainement, n’ayant pas la voix qui touche, la voix dont les inflexions douloureuses émeuvent les cœurs insensibles.

Oh ! la neige cruelle ! L’eau glacée ruisselait sur ses membres. Cependant il avait promis. À bout de forces, il se réfugia sous la tente d’un bazar. Et soudain, à portée de sa main, parmi le débordement des jouets, il aperçut deux poupées, l’une de treize sous, l’autre de trente-neuf. Devant l’étalage un garçon de magasin déambulait.

Instantanément, une tentation l’envahit qu’il ne chercha même pas à combattre. À peine réfléchit-il quelques secondes, hésitant entre les deux objets. Mais son honnêteté ne lui permit que le moins luxueux. Et comme l’employé tournait le dos, il étendit la main, prit la poupée de treize sous, et s’éloigna tranquillement, sans un battement de cœur.

La joie de la petite le récompensa de son action. On eût dit que ce cadeau la guérissait. Assise sur son matelas, elle admirait et maniait avec délicatesse l’informe poupée au corps gonflé de son, à la peau rose, aux coutures grossières. Lui regardait sa fille, heureux de ce contentement naïf, tout baigné de cette gaieté d’enfant.

— Allons, dit-il, il faut se reposer.

Elle étendit près d’elle sa poupée pour qu’elle eût bien chaud. Le père se coucha et souffla la lumière.