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Il amena l’entretien sur des idées plus générales, et aux questions qu’il insinuait il s’attendait à recueillir des réponses nettes, déterminées, celles qu’il eût faites, lui. Non. Elle répondit dans un autre sens, contrairement à ce qu’il souhaitait d’entendre, à ses principes, à ses jugements, à sa conception de la vie. Elle ne pensait donc pas comme lui ?

Il ne s’obstina pas à poursuivre l’épreuve. Avec sa canne, il traça des ronds sur le sable. Elle, regardait dans le vide.

Il ne comprenait pas. Aucune sensation ne le troublait. Plus rien d’elle ne l’intéressait. Pourquoi ? Qu’y avait-il de changé ? C’était la même femme, faite de la même chair, munie du même cerveau, offrant la même séduction. Pourquoi quelques mots insignifiants échangés au hasard creusaient-ils un abîme entre eux ? Car, il le devinait, elle éprouvait la même impression glaciale.

Il voulut lui prendre la main, croyant à un éveil des sens. À l’un et à l’autre le toucher déplut. Était-ce donc fini, fini avant tout commencement ?

Hélas ! l’erreur est commune. Ils avaient agi en dehors de leurs âmes. On se décerne souvent des sentiments imaginaires. On croit que l’amour nous lie, alors que, tout au plus, chacun, de son côté, subit l’influence de conditions spéciales, climatériques ou physiologiques. De loin, les deux ensembles de besoins, d’exigences, d’espoirs, d’appétits qui formaient leur être à cette époque s’étaient appelés, avides d’étreinte et de fusion. Puis, maintenant qu’ils avaient obéi à l’ordre de leurs instincts passagers, ils attendaient, anxieux et muets, que le mystère de la communion s’opérât.