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— Il n’en faut pas douter, mon fils, c’est là qu’on doit chercher la cause de la maladie noire qui a décidé votre frère à se tuer. Vous auriez dû vous séparer, ne plus vivre ensemble, vous fuir l’un l’autre, comme deux ennemis mortels.

Je me levai épouvanté. J’entrouvris la porte et j’aperçus ma mère. Ses yeux étaient fermés, les lèvres blanches s’agitaient, mais je ne distinguais qu’un long gémissement, des plaintes. Autour d’elle, les rideaux du lit presque fermés étouffaient encore davantage la confession. Sur les draps, plus bas que le menton, un Christ gisait.

Enfin le prêtre saisit les mains de l’agonisante et conclut :

— Mon fils, il n’est point de crime si monstrueux auquel Dieu ne pardonne. Sa miséricorde est infinie. Espérez.

Je m’enfuis, je gagnai la route, je me cachai dans un fourré. Quand je revins, ma mère était morte.

Comprenez-vous maintenant ? Ai-je le droit de me tuer ? Voilà dix ans que je vis, sachant cela. Combien d’hommes auraient pu lutter aussi vaillamment ? J’ai voyagé, j’ai joué, rien ne me distrait de cela. Je n’ai pas un ami, pas une connaissance. J’ai tenté d’aimer, l’hérédité pèse sur moi. Donc je suis bien seul au monde… seul avec un souvenir, et ce souvenir me tue. N’est-ce point d’ailleurs la destinée qui m’a reconduite ici, malgré moi, dans cette maison maudite, à l’endroit même du crime ? Je ne peux plus vivre, je ne peux plus vivre !