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retraité. Et ces mots latins dont on bombardait l’épicier Couchard sans que personne les comprît, le revêtaient d’une puissance mystérieuse, la puissance d’exciter le rire immédiatement, par sa seule présence. Avant qu’il n’ouvrît la bouche, on se préparait. Il laissait tomber deux ou trois syllabes, on se tenait les côtes. À l’oreille les assistants se répétaient : « Hein, l’a-t-il, la vis comica ! »

Or, M. Couchard, un jour qu’Auguste poursuivait madame Couchard de ses assiduités, s’écria :

— Vous savez, Jumelin, vous faites la cour à ma femme, je me vengerai, œil pour œil.

N’imagina-t-il point alors de soupirer auprès de Joséphine ? Il l’appelait ma toute belle, lui baisait les mains, lui glissait des billets doux, se plaignait de sa dureté. On en parle encore à Duclair.

Désormais, ce fut la coutume. Auguste accabla ces dames de galanteries. Ces messieurs brûlèrent pour Joséphine. Elle reçut des cadeaux : un éventail, un vieux corset, des jarretières, des ustensiles de toilette spécialement affectés aux femmes. Oh les bonnes soirées !

Elles faillirent se gâter, néanmoins. Un jeune homme, joli garçon, poussa les choses un peu loin. En plein salon, Auguste se fâcha. Il tremblait, pris d’une colère réelle, tout pâle. Autour de lui, ses amis riaient à en mourir, croyant sa rage feinte. « Est-il drôle, ce Jumelin, une scène de jalousie ! » Quelqu’un insinua : « Hé, hé, il n’a pas que la répartie ! » Le prestige de Couchard en reçut une atteinte.

Et cela dura des années, sans incident plus notable. Le commerce prospérait.