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Je ne pleurais plus, je ne souffrais plus. Couché entre ses bras, la tête sur son épaule, je n’osais bouger, de peur qu’elle ne desserrât son étreinte. Nous nous taisions. C’était l’heure solennelle où le soleil disparaît, l’heure de recueillement où dans la pureté de l’air, au-dessus de l’eau assombrie, autour des cimes radieuses flotte quelque chose de sacré. Instant inoubliable d’amour et d’extase !

Mais, peu à peu, au contact de son corps, ma chair s’émut. J’épiais le gonflement de sa gorge. C’était là surtout, vers le mystère du corsage, vers la floraison puissante de la poitrine que tendait mon désir. Insensiblement, j’y inclinai la tête. Et, sous ma joue, je sentis la chaleur des seins, leur palpitation lente, et je m’exaspérais à la pensée que l’étoffe seule en séparait mes lèvres.

J’eus un coup de folie. Ma main s’y porta brusquement. Elle me repoussa. Nous demeurâmes l’un en face de l’autre, haletants, confus tous deux.

Elle ne me tint pas rigueur. Souvent encore, elle m’attira contre elle afin d’unir nos rêves. Elle me recevait aussi dans sa chambre, dont le balcon formait terrasse, et, devant la mer, complice, elle m’enlaçait de ses bras à moitié nus. Je les couvrais de baisers. Puis nos regards se mêlaient. Les siens étaient toujours tristes.

M’aimait-elle ? Je l’ignorais, ne songeant même pas à me le demander. À cet âge, on aime, certes, avec l’espoir vague de la possession, mais on ne tente rien pour y atteindre plus vite, tellement l’avenir est vaste et l’âme confiante.