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— Je m’imagine, demanda madame Arlange, vous avoir rencontré en barque, une après-midi.

Pourquoi ai-je cru deviner quelque ironie dans cette interrogation ? Bêtement, je répliquai :

— Non, je ne me souviens pas.

Elle parut surprise. Je rougis. Et une joie naïve m’inonda, car, désormais, nous avions un secret en commun.

Je revins souvent, puis tous les jours. Elle m’accueillait avec plaisir. Ses filles et moi, au contraire, sympathisions peu, et, régulièrement, après le déjeuner, M. d’Ouvrin les emmenait en excursion. Nous restions seuls.

C’était à la fois une volupté et une souffrance : volupté d’être auprès d’elle, et souffrance de ne savoir que lui dire. Comme je devais lui sembler ridicule et emprunté ! Les yeux grands ouverts, silencieusement, je la contemplais. Je me sentais tout petit devant elle, comme devant une force qui pouvait me briser, une puissance irrésistible. Cela résultait sans doute de l’idée que je me formais au sujet de son expérience. Elle me dominait de tout son passé, de tout ce qu’elle avait suscité d’amour, de passion, de désir, de dévouement. J’aurais voulu qu’elle me racontât sa vie et me sacrifier à mon tour et mourir pour elle.

Exaltation fiévreuse d’enfant romanesque, qui me conduisit bientôt au désespoir, puis aux aveux !