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Un trouble me resta de cette vision et l’espoir qu’elle se renouvellerait bientôt. Quelques jours cependant mes investigations à travers Beaulieu n’aboutirent pas.

Un matin, sur la route de Villefranche, une voix m’appela. Je reconnus un camarade de pension, de plusieurs classes au-dessous de moi, Daniel Arlange. Il se promenait avec trois jeunes femmes. Il me prit par le bras :

— La tribu de mes sœurs, à savoir madame d’Ouvrin, mon aînée, mère de famille depuis un mois, et mes cadettes, Geneviève et Henriette Arlange.

Nous fîmes un tour. Le soir, il s’en retournait à Paris pour ses études. Il voulut auparavant me présenter chez lui. Ils habitaient au bord de l’eau, assez loin, du côté d’Éze. En entrant dans le salon, nous trouvâmes, étendue sur un divan, une femme qui lisait. C’était elle.

Daniel me dit :

— Maman.

Je fus décontenancé. Mère d’un de mes amis, grand-mère, ne perdait-elle pas un peu de son prestige ? Mais le son de sa voix, instantanément, le lui rendit. Ah ! cette voix douce, douce comme son visage et lasse comme lui, cette voix traînante, aux inflexions monotones, cette voix triste comme ces choses dont la tristesse humble est pitoyable, comme des yeux de bête agonisante, comme des larmes silencieuses, cette voix blessée, de quelle émotion me pénétra-t-elle ! J’en écoutais la musique plaintive sans chercher le sens des mots, et je répondais au hasard, pour l’entendre encore, indéfiniment. À peine puis-je citer la phrase qui finit notre entretien.