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Alors un projet très simple lui apparut : elle se séparerait de son propre fils.

Assurément elle lutta. Elle fit de louables efforts pour se révolter contre un tel projet. Elle n’y parvint point. Ses lèvres le qualifiaient d’infâme, mais son cœur le trouvait tout naturel. La pensée que Gaston s’en irait à jamais et qu’irrévocablement elle ne le verrait plus, supprimait en elle toute hésitation.

Son fils partirait. Elle prépara son trousseau, et cela, sans effroi, sans remords, comme si c’était son devoir. Elle eut tout accepté pour garder son cher Gaston. N’était-elle pas sa maman, à lui aussi, sa maman réelle, l’être unique qui sature de tant d’affection notre âme vierge que le bienfait s’en répand sur toute la vie, si dure et si décevante qu’elle soit ? Qu’importait que ses entrailles ne l’eussent point conçu ! Fils, frère, ou étranger, il tenait à elle par des fibres plus intimes que l’enfant même de sa chair. Elle l’avait nourri, elle l’avait élevé. Il représentait l’avenir triomphant, le bonheur, la fortune.

Son fils partirait ! Elle l’aimait pourtant, mais d’une tendresse apaisée, qui tolérait l’absence, même la séparation définitive. Elle ne savait pourquoi, rien ne l’attachait à cet être. Qu’il fût bien portant aujourd’hui, capable de satisfaire son ambition, cela ne prévalait pas contre le souvenir lamentable de ses premières années. Aux yeux de sa mère, il restait l’infirme, le difforme, le misérable.

Escortée de Gaston, elle le conduisit au Havre. L’individu attendait. Ils marchèrent vers le port. Le petit pleurait.