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dans le jardin et que nous venons de retrouver. Pour couper court à toute hypothèse vous concernant, nous vous prions de vouloir bien exécuter le même geste…

— Oh ! sûrement, s’écria-t-elle avec vivacité. S’il suffit de cela pour vous convaincre…

Elle saisit une des trois autres pommes que M. Desmalions lui tendait et qu’il avait prise dans le compotier, et la porta à sa bouche.

L’acte était décisif. Si les deux empreintes se ressemblaient, la preuve existait, certaine, irréfragable.

Or, avant que son geste ne fût achevé, elle s’arrêta net, comme frappée d’une peur subite… Peur d’un piège ? peur du hasard monstrueux qui pouvait la perdre ? ou, plutôt, peur de l’arme effrayante qu’elle allait donner contre elle ? En tout cas, rien ne l’accusait plus violemment que cette hésitation suprême, incompréhensible si elle était innocente, mais combien claire si elle était coupable !

— Que craignez-vous, madame ? dit M. Desmalions.

— Rien… rien… dit-elle en frissonnant… je ne sais pas… je crains tout… tout cela est si horrible.

— Pourtant, madame, je vous assure que ce que nous vous demandons n’a aucune espèce d’importance et ne peut avoir pour vous, j’en suis persuadé, que des conséquences heureuses. Alors ?…

Elle leva le bras davantage, et davantage encore, avec une lenteur où se révélait son inquiétude. Et vraiment, de la façon dont les événements se déroulaient, la scène avait quelque chose de solennel et de tragique qui serrait les cœurs.

— Et si je refuse ? dit-elle tout à coup.

— C’est votre droit absolu, madame, dit le préfet de police. Mais est-ce bien la peine ? Je suis sûr que votre avocat sera le premier à vous donner le conseil…

— Mon avocat… balbutia-t-elle, comprenant la signification redoutable de cette réponse.

Et brusquement, avec une résolution farouche, et cet air, en quelque sorte féroce, qui tord le visage aux minutes des grands dangers, elle fit le mouvement auquel on la contraignait. Elle ouvrit la bouche. On vit l’éclair des dents blanches. D’un coup, elles s’enfoncèrent dans le fruit.