Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/352

Cette page a été validée par deux contributeurs.

habitude de tutoyer ses ennemis… un vrai boudin ! Pas très gros, le monsieur. Un saucisson de Lyon pour famille pauvre ! Mais bah ! tu n’y mets aucune coquetterie, je présume ? D’ailleurs tu n’es pas plus mal comme ça qu’à l’ordinaire, et en tout cas tu es absolument approprié à la petite gymnastique de chambre que je te propose. Tu vas voir ça… une idée à moi vraiment originale. T’impatiente pas.

Il prit un des fusils que le bandit avait apportés, et il attacha au milieu de ce fusil l’extrémité d’une corde qui avait environ douze ou quinze mètres de long, et dont il fixa l’autre bout aux cordes qui ligotaient l’infirme, à la hauteur du dos.

Ensuite il saisit le captif à bras-le-corps et le tint suspendu au-dessus du puits.

— Ferme les yeux si tu as le vertige. Et surtout ne crains rien. Je suis très prudent. Tu es prêt ?

Il laissa glisser l’infirme dans le trou béant et saisit ensuite la corde qu’il venait d’attacher. Alors, peu à peu, pouce par pouce, avec précaution, de manière qu’il ne se cognât point, le paquet fut descendu à bout de bras. Lorsqu’il parvint à une douzaine de mètres de profondeur, le fusil posé en travers du puits l’arrêta, et il demeura là, suspendu dans les ténèbres et au centre de l’étroite circonférence.

Don Luis alluma plusieurs bouchons de papier qui dégringolèrent en tournoyant et jetèrent sur les parois des lueurs sinistres.

Puis, incapable de résister à l’attrait d’une dernière apostrophe, il se pencha comme l’avait fait le bandit et ricana :

— L’endroit est choisi pour que tu n’attrapes pas de rhume de cerveau. Que veux-tu ? Je te soigne. J’ai promis à Florence de ne pas te tuer, et au gouvernement français de te livrer autant que possible vivant. Seulement, comme je ne savais que faire de toi jusqu’à demain matin, je t’ai mis au frais. Le truc est joli, n’est-ce pas ? et, ce qui ne saurait te déplaire, vraiment conforme à tes procédés. Mais oui, réfléchis. Le fusil ne repose à ses deux bouts que sur une longueur de deux ou trois centimètres. Alors, pour peu que tu gigotes, pour peu que tu bouges, si seulement tu respires trop fort, le canon ou la