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moindre espèce de preuve. Pas une charge qui m’atteigne. Des soupçons, oui, des présomptions morales, des indices, tout ce que tu voudras, mais pas une preuve matérielle. Personne ne me connaît. L’un m’a vu grand, l’autre petit. Mon nom même est ignoré. Tous mes crimes sont anonymes. Tous mes crimes sont plutôt des suicides ou peuvent s’expliquer par des suicides. Je te le dis, la justice est impuissante. Lupin mort, Florence Levasseur morte, personne au monde ne peut témoigner contre moi. Au cas même où l’on m’arrêterait, il faudrait me relâcher avec le non-lieu définitif. Je serai flétri, exécré, haï, infâme, maudit à l’égal des plus grands malfaiteurs. Mais j’aurai les deux cents millions, et avec ça, ma petite, l’amitié de bien des honnêtes gens ! Je te le répète, Lupin et toi disparus, c’est fini. Il n’y a plus rien, plus rien que quelques papiers et quelques menus objets que j’ai eu la faiblesse de garder jusqu’ici dans ce portefeuille et qui suffiraient, et au-delà, à me faire couper le cou, si je ne devais dans quelques minutes les brûler un à un et en jeter les cendres au fin fond du puits. Ainsi donc, tu le vois, Florence, toutes mes précautions sont prises. Tu n’as à espérer ni compassion d’une part, puisque ta mort représente pour moi deux cents millions, ni secours d’autre part, puisque l’on ignore où je t’ai menée, et qu’Arsène Lupin n’existe plus. Dans ces conditions, choisis, Florence. Le dénouement du drame t’appartient : ou bien ta mort, qui est certaine, inévitable — ou bien… ou bien l’acceptation de mon amour. Réponds oui ou non. Un signe de ta tête décidera de ton sort. Si c’est non, tu meurs. Si c’est oui, je te délivre, nous partons, et, plus tard, lorsque ton innocence sera reconnue, — et je m’en charge ! — tu deviens ma femme. Est-ce oui, Florence ?