Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/335

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sera au rendez-vous… Ah ! j’oubliais… L’héritage, tu sais… les deux cents millions de Mornington, eh bien ! je les empoche. Mais oui… tu penses bien que j’avais pris toutes mes précautions ?… Florence t’expliquera ça tout à l’heure… C’est très bien machiné… tu verras… tu verras…

Il ne pouvait plus parler. Les dernières syllabes semblaient plutôt des hoquets. La sueur lui dégouttait des cheveux et du front, et il s’affaissa en gémissant, comme un moribond que torturent les affres de l’agonie.

Il resta ainsi quelques minutes, la tête entre les mains et tout grelottant. Il avait l’air de souffrir jusqu’au plus profond de lui-même, en chacun de ses muscles tordus par la maladie, en chacun de ses nerfs de déséquilibré. Puis, sous l’influence d’une pensée qui paraissait le faire agir inconsciemment, une de ses mains glissa par saccades le long de son corps, et, à tâtons, avec des râles de douleur, il réussit à tirer de sa poche et à porter vers sa bouche une fiole dont il but avidement deux ou trois gorgées.

Aussitôt il se ranima, comme s’il eût absorbé de la chaleur et de la force. Ses yeux s’apaisèrent, sa bouche esquissa un sourire affreux. Il dit en se tournant vers Florence :

— Ne te réjouis pas, petite, ce n’est pas encore pour cette fois, et j’ai sûrement le temps de m’occuper de toi. Et puis, après, plus d’embêtements, plus de ces combinaisons et de ces batailles qui m’esquintent. Le calme plat ! La vie facile !… Que diable, avec deux cents millions, on a de quoi se dorloter, n’est-ce pas, petite fille ?… Allons, allons, ça va beaucoup mieux.


XIX. — Le secret de Florence.

L’heure était venue où la seconde partie du drame devait se jouer. Après le supplice de don Luis Perenna, c’était le supplice de Florence. Bourreau monstrueux, l’infirme passait de l’un à l’autre, sans plus de pitié que s’il se fût agi de bête qu’on égorge à l’abattoir.

Encore défaillant, il se traîna vers la jeune fille, et, après avoir pris dans un étui de métal bruni une cigarette qu’il alluma, il lui dit avec un raffinement de cruauté :

— Lorsque cette cigarette sera entièrement consumée, Florence, ce sera ton tour. Ne la quitte pas des yeux. Ce sont les dernières minutes de ta vie qui s’en vont en cendres. Ne la quitte pas des yeux, et réfléchis. Florence, il faut que tu