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de lui. Il n’avait besoin de personne. Le duel final commençait.

Et, tout en courant, guidé par l’empreinte des pneumatiques dans la poussière, il suivit le chemin de traverse. À sa grande surprise, ce chemin ne s’approchait pas des murs situés derrière la Grange-aux-Pendus, et du haut desquels il avait sauté quelques semaines auparavant. Après avoir franchi les bois, don Luis déboucha dans un vaste terrain inculte où le chemin tourna pour revenir vers le domaine et aboutir devant une vieille porte à deux battants, renforcée de plaques et de barres en fer.

La limousine avait passé par là.

« Et il faut que j’y passe, se dit don Luis, coûte que coûte, et tout de suite encore, sans perdre mon temps à découvrir une brèche ou un arbre propice. »

Or, le mur avait, en cette partie, quatre mètres de haut.

Don Luis passa. Comment ? Par quel effort prodigieux ? Lui-même n’aurait su le dire après avoir accompli son exploit. Toujours est-il que, en s’accrochant à d’invisibles aspérités, en plantant au creux des pierres un couteau que Davanne lui avait prêté, il passa.

Et, quand il fut de l’autre côté, il retrouva les traces des pneus qui s’en allaient vers la gauche, vers une région du parc qu’il ignorait, plus accidentée, hérissée de monticules et de constructions en ruine sur lesquelles retombaient d’amples manteaux de lierre.

Et, si abandonné que fût le reste du parc, cette région semblait beaucoup plus barbare, bien que, au milieu des orties et des ronces, parmi la végétation luxuriante des grandes fleurs sauvages, où foisonnaient la valériane, le bouillon-blanc, la ciguë, la digitale, l’angélique, il y eût, par tronçons et poussant à l’aventure, des haies de lauriers et des murailles de buis.

Et soudain, au détour d’une ancienne charmille, don Luis Perenna aperçut la limousine qu’on avait laissée, ou plutôt cachée là, dans un renfoncement. La portière était ouverte. Le désordre de l’intérieur, le tapis qui pendait sur le marchepied, une des vitres brisée, un des coussins déplacé, tout attestait qu’il y avait eu lutte entre Florence et le bandit. Celui-ci sans doute avait profité de ce que la jeune fille dormait pour l’envelopper de liens, et c’est à l’arrivée, quand il avait voulu la sortir de la limousine, que Florence s’était accrochée aux objets.