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même. Comme exploits, l’Achille de la légende n’a pas fait plus. Comme résultats, Annibal et César n’ont pas obtenu davantage. Qu’il vous suffise de savoir qu’en quinze mois Arsène Lupin conquit un royaume deux fois grand comme la France. Sur les Berbères du Maroc, sur les Touareg indomptables, sur les Arabes de l’Extrême-Sud algérien, sur les nègres qui débordent le Sénégal, sur les Maures qui habitent les côtes de l’Atlantique, sur le feu du soleil, sur l’enfer, il a conquis la moitié du Sahara et ce qu’on peut appeler l’ancienne Mauritanie. Royaume de sable et de marais ? En partie, mais royaume tout de même, avec des oasis, des sources, des fleuves, des forêts, des richesses incalculables, royaume avec dix millions d’hommes et deux cent mille guerriers.

» C’est ce royaume que j’offre à la France, monsieur le président du Conseil. »

Valenglay ne cacha pas sa stupeur. Ému, troublé même par ce qu’il apprenait, penché sur son extraordinaire interlocuteur, les mains crispées à la carte d’Afrique, il chuchota :

— Expliquez-vous… précisez…

Don Luis repartit :

— Monsieur le président du Conseil, je ne vous rappellerai pas les événements de ces dernières années. Vous les connaissez mieux que moi. Vous savez quels dangers la France a courus, pendant la guerre, du fait des soulèvements marocains. Vous savez que la guerre sainte a été prêchée là-bas, et qu’il eût suffi d’une étincelle pour que le feu gagnât toute la côte d’Afrique, toute l’Algérie, toute l’immense foule musulmane, protégée par la France, protégée par l’Angleterre. Ce danger que les hommes d’État des Alliés ont redouté avec tant d’angoisse, et que l’ennemi s’est efforcé de faire naître avec tant d’astuce et de persévérance, ce danger, moi, Arsène Lupin, je l’ai conjuré. Pendant que l’on combattait en France, pendant que l’on combattait au nord du Maroc, moi j’étais au sud, j’attirais contre moi les tribus rebelles, je les soumettais, je les réduisais à l’impuissance, je les enrôlais et les poussais vers d’autres régions et vers d’autres conquêtes. Bref, je les faisais travailler pour cette France qu’ils avaient voulu combattre. Et, ainsi, du rêve magnifique et lointain qui s’était peu à peu dressé dans mon esprit, j’ai fait la réalité d’aujourd’hui. La France sauvait le monde : moi je sauvais la France.