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auteurs responsables du drame, que dis-je ? les vrais et les seuls coupables. Et c’est lorsque Florence a pris la poudre d’escampette que vous me demandez, vous, la clef des champs ! Soit, mais, sacrebleu ! Mettez-y le prix, et sans barguigner.

Don Luis se remit à marcher. Un dernier combat se livrait en lui. Au moment de découvrir son jeu, une hésitation suprême le retenait. Enfin, il s’arrêta de nouveau. La décision était prise. Il fallait payer : il paierait.

— Je ne marchande pas, monsieur le président, affirma don Luis avec une grande loyauté d’attitude et de visage. Ce que j’ai à vous offrir est certes beaucoup plus extraordinaire et plus formidable que vous ne l’imaginez. Mais cela serait-il plus extraordinaire encore et plus formidable que cela ne compterait pas, puisque la vie de Florence Levasseur est en danger. Cependant mon droit était de chercher une transaction moins désavantageuse. Vos paroles m’en interdisent l’espoir. J’abattrai donc toutes mes cartes sur la table, comme vous l’exigez, et comme j’y étais résolu.

Le vieux président exultait. Quelque chose de formidable et d’extraordinaire ! En vérité, qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Quelles propositions pouvaient mériter de telles épithètes ?

— Parlez, monsieur.

Don Luis Perenna s’assit en face de Valenglay, ainsi qu’un homme qui traite avec un autre d’égal à égal.

— Ce sera bref. Une seule phrase, monsieur le président, résumera le marché que je propose au chef du gouvernement de mon pays.

— Une seule phrase ?

— Une seule phrase, affirma don Luis.

Et, plongeant ses yeux dans les yeux de Valenglay, lentement, syllabe par syllabe, il lui dit :

— Contre vingt-quatre heures de liberté, pas davantage, contre l’engagement d’honneur de revenir ici demain matin, et d’y revenir avec Florence, pour vous donner toutes les preuves de mon innocence, soit sans elle pour me constituer prisonnier, je vous offre…

Il prit un temps et acheva d’une voix grave :

— Je vous offre un royaume, monsieur le président du Conseil.

La phrase était énorme, burlesque, bête à faire hausser les épaules, une de ces phrases que seul peut émettre un imbécile ou un fou.