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exaspérante où la justice ne montrait qu’incertitude et désarroi. Selon les circonstances, on prendrait une décision relative à l’héritage. Puis, on bouclerait l’instruction. Et ce serait peu à peu le silence sur la monstrueuse hécatombe des héritiers Mornington. Et le mystère des Dents du tigre s’oublierait peu à peu…

Chose étrange, ces derniers jours, agités et fiévreux comme tous ceux qui précèdent les grandes batailles — car on prévoyait que cette réunion suprême serait une grande bataille — don Luis les passa tranquillement dans un fauteuil, installé sur son balcon de la rue de Rivoli, à fumer des cigarettes ou à faire des bulles de savon que le vent emportait vers les jardins des Tuileries.

Mazeroux n’en revenait pas.

— Patron, vous m’ahurissez. Ce que vous avez l’air tranquille et insouciant !

— Je le suis, Alexandre.

— Alors, quoi ! l’affaire ne vous intéresse plus ? Vous renoncez à venger Mme Fauville et Sauverand ? On vous accuse ouvertement, et vous faites des bulles de savon ?

— Rien de plus passionnant, Alexandre.

— Voulez-vous que je vous dise, patron ? Eh bien, on croirait que vous connaissez le mot de l’énigme…

— Qui sait, Alexandre ?

Rien ne semblait émouvoir don Luis. Des heures encore passèrent, et d’autres heures, et il ne bougeait toujours pas de son balcon. Les moineaux, maintenant, venaient manger le pain qu’il leur jetait. Vraiment, on eût dit que, pour lui aussi, l’affaire touchait à son terme et que les choses allaient le mieux du monde.

Mais le jour de la réunion, Mazeroux entra, une lettre à la main, et l’air effaré :

— C’est pour vous, patron. Elle m’était adressée, mais avec enveloppe intérieure à votre nom… Comment expliquez-vous cela ?

— Facilement, Alexandre. L’ennemi connaît nos relations cordiales, et, ignorant mon adresse…

— Quel ennemi ?

— Je te le dirai ce soir.

Don Luis ouvrit l’enveloppe et lut ces mots, écrits à l’encre rouge :

« Il est encore temps, Lupin. Retire-toi de la bataille. Sinon, c’est la mort pour toi aussi. Quand tu te croiras au but, quand ta main se lèvera sur moi et que tu crieras des mots de victoire, c’est alors que l’abîme s’ouvrira sous tes pas. Le lieu de ta mort est déjà choisi. Le piège est prêt. Prends garde, Lupin. »