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Si vous avez des révélations importantes à faire, pourquoi tardez-vous ?

— Il vaut mieux, monsieur le préfet, que vous alliez vers la vérité par le chemin que j’ai suivi. Quand on connaît le secret des lettres, elle est, cette vérité, beaucoup plus près qu’on ne pense, et vous auriez déjà nommé le criminel si l’abomination de son forfait n’eût écarté de lui tous les soupçons.

M. Desmalions le regardait attentivement. Il sentait l’importance de chaque parole prononcée par Perenna et il éprouvait une anxiété réelle.

— Alors, selon vous, dit-il, ces lettres qui accusent Mme Fauville et Gaston Sauverand ont été placées là dans le but unique de les perdre tous deux ?

— Oui, monsieur le préfet.

— Et comme elles y ont été placées avant le crime, c’est que le complot avait été combiné avant le crime ?

— Oui, monsieur le préfet, avant le crime. Du moment que l’on admet l’innocence de Mme Fauville et de Gaston Sauverand, on est amené, puisque tout les accuse, à conclure que tout les accuse par suite d’une série de circonstances voulues. La sortie de Mme Fauville le soir du crime… machination ! L’impossibilité où elle se trouve de donner l’emploi de son temps pendant que le crime s’exécutait… machination ! Sa promenade inexplicable du côté de la Muette, et la promenade de son cousin Sauverand aux environs de l’hôtel… machination ! L’empreinte des dents autour de la pomme, des dents mêmes de Mme Fauville… machination, et la plus infernale de toutes ! Je vous le dis, tout est machiné d’avance, tout est préparé, dosé, étiqueté, numéroté. Chaque événement prend sa place à l’heure prescrite. Rien n’est laissé au hasard. C’est une œuvre d’ajustage méticuleux, digne du plus habile ouvrier, si solide que les choses extérieures n’ont pas pu la dérégler, et que toute la mécanique a fonctionné jusqu’à ce jour, exactement, précisément, imperturbablement… tenez, comme le mouvement d’horlogerie enfermé dans ce coffre, et qui est bien le symbole le plus parfait de l’aventure, en même temps que l’explication la plus juste, puisque, dès avant le crime, les lettres qui dénonçaient les auteurs du crime étaient mises à la poste et que, depuis, les levées s’effectuaient aux dates et aux heures prévues.