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» Cette idée de défiance à votre égard, cette haine terrifiée, elle me la communiqua instantanément. Durant les vingt minutes que nous employâmes à dépister mes agresseurs, hâtivement, elle me traça les grandes lignes de l’affaire, me dit en quelques mots la part prédominante que vous y preniez, et, sur l’heure, nous préparâmes contre vous une contre-attaque, afin que l’on vous suspectât de complicité. Tandis que j’envoyais un message au préfet de police, Florence rentrait et cachait, sous les coussins de votre divan, le tronçon de canne que j’avais conservé à la main par mégarde. Riposte insuffisante et qui manqua son but. Mais le duel était commencé. Je m’y lançai à corps perdu.

» Monsieur, pour bien comprendre mes actes, il faut vous rappeler qui j’étais… un homme d’étude, un solitaire, mais aussi un amant passionné. J’aurais vécu toute ma vie dans le travail, ne demandant rien au destin que d’apercevoir Marie-Anne à sa fenêtre, la nuit, de temps à autre. Mais, dès le moment où on la persécutait, un autre homme surgit en moi, un homme d’action, maladroit certes, inexpérimenté, mais décidé à tout, et qui, ne sachant comment sauver Marie-Anne, n’eut pas d’autre but que de supprimer cet ennemi de Marie-Anne, auquel il avait le droit d’attribuer tous les malheurs de celle qu’il aimait.

» Et ce fut la série de mes tentatives contre vous. Introduit dans votre hôtel, caché dans l’appartement même de Florence, j’essayai — à son insu, cela je vous le jure, — j’essayai de vous empoisonner. Les reproches, la révolte de Florence devant un pareil acte m’eussent peut-être fléchi, mais, je vous le répète, j’étais fou, oui, absolument fou, et votre mort me paraissait le salut même de Marie-Anne. Et, un matin, sur le boulevard Suchet, où je vous avais suivi, je vous envoyai un coup de revolver. Et le même soir, votre automobile vous emmenait à la mort, ainsi que le brigadier Mazeroux, votre complice.

» Cette fois encore, vous alliez échapper à ma vengeance. Mais un innocent, le chauffeur qui conduisait, payait pour vous, et le désespoir de Florence fut tel que je dus céder à ses prières et désarmer. Moi-même, d’ailleurs, terrifié de ce que j’avais fait, obsédé par le souvenir de mes deux victimes, je changeai de plan et ne pensai qu’à sauver Marie-Anne, en préparant son évasion.