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vrer un sang-froid qui l’abandonnait peu à peu. Il y réussit, mais sa voix, malgré tout, resta plus frémissante, et la fièvre dont il était dévoré le secouait de tremblements qu’il ne parvenait pas à dissimuler.

Il continua :

— Au coin de la rue par où je venais de tourner après avoir distancé, sur le boulevard Richard-Wallace, les agents du préfet, et alors que je pouvais me croire perdu, Florence me sauva. Florence savait tout, elle, depuis quinze jours. Le lendemain même du double assassinat, elle l’apprenait par les journaux, par ces journaux qu’elle lisait à vos côtés, et que vous commentiez, que vous discutiez devant elle. Et c’est auprès de vous, c’est en vous écoutant, qu’elle acquit cette opinion, que les événements, d’ailleurs, contribuaient tous à lui donner : l’ennemi, le seul ennemi de Marie-Anne, c’était vous.

— Mais pourquoi ? pourquoi ?

— Parce qu’elle vous voyait agir, s’exclama Sauverand avec force, parce que vous aviez intérêt plus que toute autre personne à ce que Marie-Anne d’abord, puis moi dans la suite, ne fussions pas entre vous et l’héritage Mornington, et enfin…

— Et enfin…

Gaston Sauverand hésita, puis nettement :

— Et enfin, parce qu’elle connaissait, à n’en pas douter, votre vrai nom, et que, suivant elle, Arsène Lupin est capable de tout.

Il y eut un silence, et combien poignant, le silence, en une pareille minute ! Florence demeurait impassible sous le regard de don Luis Perenna, et, sur ce visage hermétiquement clos, il ne pouvait discerner aucune des émotions qui la devaient agiter.

Gaston Sauverand reprit :

— C’est donc contre Arsène Lupin que Florence, l’amie épouvantée de Marie-Anne, engagea la lutte. C’est pour démasquer Lupin qu’elle écrivit, ou plutôt fit écrire cet article dont vous avez trouvé l’original sous une pelote de ficelle. C’est Lupin qu’elle entendit un matin téléphoner avec le brigadier Mazeroux et se réjouir de mon arrestation imminente. C’est pour me sauver de Lupin qu’elle abattit devant lui, au risque d’un accident, le rideau de fer, et qu’elle se fit conduire en auto à l’angle du boulevard Richard-Wallace, où elle devait arriver trop tard pour me prévenir, puisque les policiers avaient déjà envahi ma maison, mais à temps pour me soustraire à leur poursuite.