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vie du préfet de police, et que, finalement, ayant, sur sa demande, passé la nuit dans l’hôtel du boulevard Suchet, il avait reçu de la façon la plus incompréhensible la fameuse lettre de l’ingénieur Fauville. Et tout cela surexcitait l’opinion au plus haut point.

Mais combien les problèmes posés à don Luis Perenna étaient plus complexes et plus troublants ! Quatre fois en l’espace de quarante-huit heures, et sans parler de l’article anonyme où on le dénonçait, quatre fois, par l’écroulement du rideau de fer, par le poison, par le coup de feu du boulevard Suchet et par le « truquage » de son automobile, on avait essayé de le tuer. La participation de Florence à ces attentats consécutifs était indéniable. Et voilà que les relations de la jeune fille avec les assassins d’Hippolyte Fauville se trouvaient établies grâce à la petite note recueillie dans le volume huit de Shakespeare ! Et voilà que deux morts nouvelles s’ajoutaient à la liste funèbre, la mort de l’inspecteur principal Ancenis, la mort du chauffeur d’automobile.

Comment définir et comment expliquer le rôle que jouait, au milieu de toutes ces catastrophes, l’énigmatique créature ?

Chose étrange, la vie reprit à l’hôtel de la place du Palais-Bourbon, comme si rien d’anormal ne s’y fût passé. Chaque matin, Florence Levasseur dépouillait le courrier en présence de don Luis et lisait à haute voix les articles de journaux qui le concernaient ou se rapportaient à l’affaire Mornington.

Pas une fois, il ne fit allusion à la lutte sauvage qu’on avait poursuivie contre lui pendant deux jours. Il semblait qu’une trêve fût conclue entre eux et que, pour l’instant, l’ennemi eût renoncé à ses attaques. Et don Luis se sentait tranquille, à l’abri du danger. Et il parlait à la jeune fille d’un air indifférent, ainsi qu’il eût parlé à la première venue.

Mais avec quel intérêt fiévreux il l’épiait la dérobée ! Comme il observait l’expression à la fois si ardente et si calme de ce visage, où frémissait, sous le masque paisible, une sensibilité douloureuse, excessive, difficilement contenue, et que l’on devinait à certains frissons des lèvres, à certains battements des narines !

« Qu’es-tu ? Qu’es-tu ? avait-il envie de crier. Est-ce donc ta volonté de semer les cadavres sur la route ? Et te faut-il encore ma mort pour atteindre ton but ? Où vas-tu, et d’où viens-tu ? »

À la réflexion, une certitude l’avait envahi, qui résolvait un problème dont il