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Muette pour y prendre une auto, et qu’ils parvenaient au bout du boulevard Suchet, le hasard fit que don Luis tourna la tête du côté de la chaussée.

Un homme les dépassait, à bicyclette.

Don Luis eut juste le temps de voir son visage glabre, ses yeux étincelants, fixés sur lui.

— Gare à toi ! cria-t-il en poussant Mazeroux avec une telle brusquerie que le brigadier perdit l’équilibre.

L’homme avait tendu son poing, armé d’un revolver. Un coup de feu jaillit. La balle siffla aux oreilles de don Luis, qui s’était baissé rapidement.

— Courons dessus, proféra-t-il. Tu n’es pas blessé, Mazeroux ?

— Non, patron.

Ils s’élancèrent tous deux en appelant au secours. Mais, à cette heure matinale, les passants étaient rares sur les larges avenues de ce quartier. L’homme, qui filait vivement, augmenta son avance, tourna au loin par la rue Octave-Feuillet et disparut.

— Gredin, va, je te repincerai, grinça don Luis en renonçant à une vaine poursuite.

— Mais vous ne savez même pas qui c’est, patron.

— Si, c’est lui.

— Qui donc ?

— L’homme à la canne d’ébène. Il a coupé sa barbe. Il s’est rasé. N’importe, je l’ai reconnu. C’était bien l’homme qui nous canardait hier matin, du haut de l’escalier de sa maison. Ah ! le misérable, comment a-t-il pu savoir que j’avais passé la nuit dans l’hôtel Fauville ? On m’a donc suivi, espionné ? Mais qui donc ? Et pour quelle raison ? Et par quel moyen ?

Mazeroux réfléchit et prononça :

— Rappelez-vous, patron, vous m’avez téléphoné dans l’après-midi pour me donner rendez-vous. Qui sait ? vous aviez beau me parler tout bas, quelqu’un de chez vous a peut-être entendu.

Don Luis ne répondit point. Il pensait à Florence.

Ce matin-là, ce ne fut point Mlle Levasseur qui apporta le courrier à don Luis, et il ne la fit pas venir non plus. Il l’aperçut plusieurs fois qui donnait des ordres aux nouveaux domestiques. Elle dut ensuite se retirer dans sa chambre, car il ne la vit plus.

L’après-midi, il commanda son automobile et se rendit à l’hôtel du boulevard Suchet pour y continuer, avec Mazeroux, et sur l’ordre du préfet, des investigations qui d’ailleurs n’aboutirent à aucun résultat.