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C’était la première fois que don Luis pénétrait dans l’appartement de Mlle Levasseur. Si absorbé qu’il fût, il en subit l’agrément. Les meubles étaient simples, de vieux fauteuils et des chaises d’acajou, un secrétaire Empire sans ornement, un guéridon à gros pied massif, des rayons de livres. Mais la couleur claire des rideaux de toile égayait la pièce. Aux murs pendaient des reproductions de tableaux célèbres, des dessins de monuments et de paysages ensoleillés, villes italiennes, temples de Sicile…

La jeune fille se tenait debout. Elle avait repris, avec son sang-froid, sa figure énigmatique, si déconcertante par l’immobilité des traits et par cette expression volontairement morne sous laquelle Perenna croyait deviner une émotion contenue, une vie intense, des sentiments tumultueux, que l’énergie la plus attentive avait du mal à discipliner. Le regard n’était ni craintif, ni provocant. On eût dit vraiment qu’elle n’avait rien à redouter.

Don Luis garda le silence assez longtemps. Chose étrange, et dont il se rendait compte avec irritation, il éprouvait un certain embarras en face de cette femme contre laquelle, au fond de lui-même, il portait les accusations les plus graves. Et n’osant pas les formuler, n’osant pas dire nettement ce qu’il pensait, il commença :

Il prit un bol où il versa de l’eau du filtre.

— Vous savez ce qui s’est passé ce matin dans cette maison ?

— Ce matin ?

— Oui, alors que je finissais de téléphoner ?

— Je l’ai su depuis, par les domestiques, par le maître d’hôtel…

— Pas avant ?

— Comment l’aurais-je su plus tôt ?

Elle mentait. Il était impossible qu’elle ne mentît pas. Pourtant de quelle voix calme elle avait répondu ! Il reprit :

— Voici, en quelques mots, ce qui s’est passé. Je sortais de la cabine lorsque le rideau de fer dissimulé dans la partie supérieure de la muraille s’est abattu devant moi. Ayant acquis la certitude qu’il