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M. Desmalions tressaillit. Son émotion était visible. Si cet homme disait vrai, s’il était réellement le fils de ce Victor dont la police n’avait pas encore pu reconstituer l’état civil, on avait arrêté par là même, puisque M. Fauville et son fils étaient morts et Mme Fauville pour ainsi dire convaincue d’assassinat et déchue de ses droits, on avait arrêté l’héritier définitif de l’Américain Cosmo Mornington.

Mais par quelle aberration donnait-il contre lui, sans y être obligé, cette charge écrasante ? Il reprit :

— Mes révélations, monsieur le préfet, semblent vous étonner. Peut-être vous éclairent-elles sur l’erreur dont je suis victime ?

Il s’exprimait sans aucun trouble, avec une grande politesse et une distinction de voix remarquable, et il n’avait nullement l’air de se douter que ses révélations confirmaient au contraire la légitimité des mesures prises à son égard.

Sans répondre à sa question, le préfet de police lui demanda :

— Ainsi, votre nom véritable, c’est ?…

— Gaston Sauverand, dit-il.

— Pourquoi vous faites-vous appeler Hubert Lautier ?

L’homme eut une petite défaillance qui ne pouvait échapper à un observateur aussi perspicace que M. Desmalions. Il fléchit sur ses jambes, ses yeux papillotèrent.

— Cela ne regarde pas la police, cela ne regarde que moi.

M. Desmalions sourit :

— L’argument est médiocre. M’opposerez-vous le même si je veux savoir pourquoi vous vous cachez, pourquoi vous avez quitté votre domicile de l’avenue du Roule sans laisser d’adresse et pourquoi vous recevez votre correspondance à la poste, sous des initiales ?

— Oui, monsieur le préfet, ce sont là des actes d’ordre privé, qui relèvent de ma seule conscience. Vous n’avez pas à m’interroger là-dessus.

— C’est l’exacte réponse que nous oppose à tout instant votre complice.

— Mon complice ?

— Oui, Mme Fauville.

Mme Fauville ?

Gaston Sauverand avait poussé le même cri qu’à l’annonce de la mort de l’ingénieur, et ce fut une stupeur plus grande encore, une angoisse qui rendit ses traits méconnaissables.