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— Charles vivait dans la retraite la plus absolue. Il ne quittait pas sa chambre.

— Jamais ?

— Si, et c’est là vraiment ce qu’il y a d’extraordinaire, de prodigieux dans l’aventure. Une fois l’an, Charles d’Ernemont, mû par une sorte de volonté inconsciente, descendait, suivait exactement le chemin que son père avait suivi, traversait le jardin, et s’asseyait tantôt sur les marches de la rotonde, dont vous voyez ici le dessin, tantôt sur la margelle de ce puits. À cinq heures vingt-sept minutes, il se levait et rentrait, et, jusqu’à sa mort, survenue en 1820, il ne manqua pas une seule fois cet incompréhensible pèlerinage. Or ce jour-là, c’était le 15 avril, jour de l’anniversaire de l’arrestation. »

Me Valandier ne souriait plus, troublé lui-même par la déconcertante histoire qu’il nous racontait.

Après un instant de réflexion, Lupin demanda :

« Et depuis la mort de Charles ?

— Depuis cette époque, reprit le notaire avec une certaine solennité, depuis bientôt cent ans, les héritiers de Charles et de Pauline d’Ernemont continuent le pèlerinage le quinze avril. Les premières années, des fouilles minutieuses furent pratiquées. Pas un pouce du jardin que l’on ne scrutât, pas une motte de terre que l’on ne retournât. Maintenant, c’est fini. À peine si l’on cherche. À peine si, de temps à autre, sans motif, on soulève une pierre ou l’on explore le puits. Non, ils s’assoient sur les marches de la rotonde comme le pauvre fou, et comme lui, ils attendent. Et, voyez-vous, c’est la tristesse de