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Par terre, non loin de la cheminée, donc presque à l’endroit où il avait subi la torture, Essarès bey gisait sur le dos. Il portait les mêmes habits d’appartement que la veille, pantalon de flanelle marron et veste de velours soutachée. On avait recouvert ses épaules et sa tête d’une serviette. Mais un des assistants, un médecin légiste sans doute, d’une main tenait ce drap soulevé, et, de l’autre, montrait le visage du mort, tout en s’expliquant à voix basse.

Et ce visage… mais peut-on appeler ainsi l’innommable amas de chairs, dont une partie semblait carbonisée, et dont l’autre ne formait plus qu’une bouillie sanguinolente où se mêlaient à des débris d’os et à des fragments de peau, des cheveux, des poils de barbe, et le globe écrasé d’un œil ?…

— Oh ! balbutia Patrice, quelle ignominie ! On l’a tué, et il est tombé la tête en plein dans les flammes. C’est ainsi qu’on l’a ramassé, n’est-ce pas ?

Celui qui l’avait déjà interpellé, et qui paraissait le personnage le plus important, s’approcha de nouveau.

— Qui donc êtes-vous ?

— Le capitaine Belval, monsieur, un ami de Mme Essarès, un des blessés qu’elle a sauvés à force de soins…

— Soit, monsieur, reprit le personnage important. Mais vous ne pouvez pas rester ici. Personne, d’ailleurs, ne doit rester ici. Monsieur le commissaire, ayez l’obligeance de faire sortir tout le monde de la pièce sauf le docteur, et de faire garder la porte. Sous aucun prétexte, vous ne laisserez passer, sous aucun prétexte…

— Monsieur, insista Patrice, j’ai à vous communiquer des révélations d’une importance exceptionnelle.

— Je les entendrai volontiers, capitaine, mais tout à l’heure. Excusez-moi.