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attitude. Son plan devait être très net, et elle ne réfléchissait qu’au meilleur moyen de l’exécuter.

— Ah ! se dit Patrice tout frémissant, que faites-vous, maman Coralie ?

Il sursauta. La direction qu’avait prise le regard de la jeune femme, en même temps que la fixité étrange de ce regard lui révélaient sa pensée secrète. Coralie avait aperçu le poignard, échappé aux mains du colonel, et tombé à terre.

Pas une seconde Patrice ne douta qu’elle ne voulût saisir ce poignard dans une autre intention que de frapper son mari. La volonté du meurtre était inscrite sur sa face livide, et de telle façon que, avant même qu’elle fît un seul geste, un soubresaut de terreur secoua Essarès et qu’il chercha, par un effort de tous ses muscles, à briser les liens qui l’entravaient.

Elle s’avança, s’arrêta de nouveau, et, d’un mouvement brusque, ramassa le poignard.

Presque aussitôt, elle fit encore deux pas. À ce moment, elle se trouvait à la hauteur et à droite du fauteuil où Essarès était couché. Il n’eut qu’à tourner un peu la tête pour la voir. Et il s’écoula une minute épouvantable. Le mari et la femme se regardaient.

Le bouillonnement d’idées, de peurs, de haines, de passions désordonnées et contraires qui agitait le cerveau de ces deux êtres dont l’un allait tuer et dont l’autre allait mourir, se répercutait dans l’esprit de Patrice Belval et dans la profondeur de sa conscience. Que devait-il faire ? Quelle part devait-il prendre au drame qui se jouait en face de lui ? Devait-il intervenir, empêcher Coralie de commettre l’acte irréparable, ou bien devait-il le commettre lui-même en cassant d’une balle de son revolver la tête de l’homme ?