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s’éveilla et sourit, ou plutôt même, ayant deviné la présence de son capitaine, sourit avant de s’éveiller.

— J’ai besoin de toi, Ya-Bon.

Ya-Bon grogna de plaisir et repoussa Angèle qui s’écroula sur la table et continua de ronfler.

Dehors, Patrice ne vit plus les étincelles. La masse des arbres les lui cachait. Il suivit le boulevard, et, pour gagner du temps, prit le train de ceinture jusqu’à l’avenue Henri-Martin. De là, il s’engagea dans la rue de La Tour, qui aboutit à Passy.

En route, il ne cessa d’entretenir Ya-Bon de ses préoccupations, bien qu’il sût que le nègre n’y pouvait pas comprendre grand-chose. Mais c’était une habitude chez lui. Ya-Bon, son compagnon de guerre, puis son ordonnance, lui était dévoué comme un chien. Amputé le même jour que son chef, atteint le même jour que lui à la tête, Ya-Bon se croyait destiné à toutes les mêmes épreuves, et il se réjouissait d’être deux fois blessé, comme il se fût réjoui de mourir en même temps que le capitaine Belval. Le capitaine répondait à cette soumission de bête fidèle par une camaraderie affectueuse, un peu taquine, souvent même assez rude, qui exaltait l’affection du nègre. Ya-Bon jouait le rôle du confident passif que l’on consulte sans l’écouter, et sur qui l’on passe sa mauvaise humeur.

— Qu’est-ce que tu penses de tout cela, monsieur Ya-Bon ? disait-il en marchant bras dessus bras dessous avec lui. J’ai idée que c’est toujours la même histoire. C’est ton avis, hein ?