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gards, comme un misérable qui attend l’arrêt de mort. Patrice ne le quittait pas des yeux, et des frissons de rage le secouaient.

Et cependant une certaine joie se dégageait peu à peu du désordre de ses sentiments, grandissait en lui, et occupait toute sa pensée. Cet homme immonde n’était pas son père. Son père était mort, il aimait mieux cela. Il respirait mieux. Il pouvait relever la tête et haïr en toute liberté, d’une haine juste et sainte.

— Qui es-tu ? Qui es-tu ?

Et s’adressant à don Luis :

— Son nom ?… Je vous en supplie… Je veux savoir son nom, avant de l’écraser.

— Son nom ? fit don Luis. Son nom ? Comment ne l’as-tu pas deviné déjà ? Il est vrai que, moi-même, j’ai longtemps cherché et, cependant, c’était la seule hypothèse admissible.

— Mais quelle hypothèse ? Quelle idée ? s’écria Patrice exaspéré.

— Tu veux le savoir ?…

— Ah ! je vous en conjure ! J’ai hâte de l’abattre, mais je veux d’abord connaître son nom.

— Eh bien…

Il y eut un silence entre les deux hommes. Ils se regardaient, debout l’un contre l’autre.

Mais don Luis eut l’impression, sans doute, qu’il fallait encore différer le moment de la révélation, car il reprit :

— Tu n’es pas encore prêt à la vérité, Patrice, et je veux cependant que, quand tu l’entendras, elle ne suscite en toi aucune objection. Vois-tu, Patrice, et ne crois pas que je plaisante, il en est, dans la vie, comme dans l’art dramatique, où ce qu’on appelle le coup de théâtre manque son effet s’il n’est pas préparé. Je ne cherche pas à en faire un effet, mais à t’imposer une conviction totale, irrésistible, au sujet de cet homme, qui n’est pas ton père, comme tu