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LE RAYON B
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jusqu’au jour où il nous fut possible de régulariser notre mariage sans attirer l’attention.

Bien souvent nous parlons du grand secret de Noël Dorgeroux, et, si quelque tristesse voile les beaux yeux de Bérangère :

— Certes, lui dis je, le secret perdu était merveilleux. Rien ne fut plus émouvant que les visions de Meudon, et celles que nous avions le droit d’escompter nous auraient ouvert des horizons que nous ne pouvons imaginer. Mais es-tu bien sûre qu’il faille le regretter ? La connaissance du passé et de l’avenir est-elle une condition de bonheur pour l’humanité ? N’est-ce pas au contraire la loi même de notre équilibre que nous soyons obligés de vivre dans les bornes étroites du présent, et de n’apercevoir, devant nous ou derrière nous, que des lueurs mal éteintes ou des lueurs qui s’allument ? Notre savoir est proportionné à nos forces, et il n’est pas bon d’apprendre et de déchiffrer trop vite des vérités auxquelles nous n’avons pas eu le temps de nous adapter, et des énigmes que nous n’avons pas encore mérité de connaître ?

Benjamin Prévotelle, lui, ne cacha pas ses regrets. J’entretiens avec ce grand savant, dont les travaux ont consacré la renommée précoce, une correspondance suivie où je devine, à chaque lettre écrite par lui, sa demande anxieuse : « Se souvient-elle ? Pouvons-nous espérer ? » Hélas ! mes réponses ne lui laissent aucune illusion : « Bérangère ne se souvient de rien. N’espérez pas. »

Il se console en menant une rude bataille contre ceux qui dénient encore toute valeur à son hypothèse, et il faut avouer que, depuis la destruction de l’écran et l’impossibilité de soutenir cette hypothèse par des preuves en quelque sorte matérielles, il faut avouer que leur nombre s’est accru et qu’ils opposent à Benjamin Prévotelle des objections singulièrement troublantes. Mais il a pour lui tous les gens de bonne foi et qui raisonnent sans parti-pris.

Et il a pour lui également l’immense foule. Nous savons tous par une conviction réfléchie, et nous croyons tous par un entraînement de foi ardente, que si nous n’avons pas de nouvelles de nos frères de Vénus, ils continuent, eux, les êtres aux Trois Yeux, à s’occuper de nous avec la même ferveur, la même attention et la même curiosité passionnée. Penchés sur nous, ils nous suivent, ils nous observent, ils nous étudient, ils nous plaignent, ils comptent nos maux et nos blessures, et, peut-être aussi, nous envient-ils, lorsqu’ils assistent à nos joies, et lorsqu’ils surprennent, en quelque endroit discret, deux amants aux yeux chargés d’amour dont les lèvres se joignent…

Maurice LEBLANC.