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LE RAYON B
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VI

La splendide hypothèse.

Ce n’est pas seulement aujourd’hui, en relatant cette scène tragique, qu’elle m’apparaît comme un épisode accessoire de mon récit. Au moment même où elle se déroulait, j’éprouvais déjà cette impression. Si je n’ai pas appuyé davantage sur mon effroi et sur l’horreur de certains faits, c’est que tout cela ne fut pour moi qu’un intermède. Le supplice de Massignac, sa disparition, l’inexplicable conduite de Velmot, laissant à l’abandon, pendant quelques minutes, une affaire qu’il avait menée jusque là avec une âpreté si diabolique, autant de détails qui se perdaient dans le formidable événement que représentait la découverte de Benjamin Prévotelle.

Et cet événement était si bien pour moi le centre de toutes mes préoccupations que j’avais eu l’idée, en me jetant au secours de Massignac, de prendre sur la chaise le journal où j’avais lu la première moitié du mémoire ! Être libre, cela signifiait, avant tout, avant même de sauver Massignac et, par lui, de sauver la formule, cela signifiait la faculté de poursuivre la lecture du mémoire et de connaître ce que le monde entier devait déjà connaître !

Je fis, dans ma barque, le tour de l’île et, me dirigeant vers des lumières, vins atterrir à la rive principale. Un tramway passait. Il y avait des boutiques ouvertes. Je me trouvais entre Bougival et Port-Marly.

À dix heures du soir, je m’enfermais dans une chambre d’hôtel à Paris et je dépliais le journal. Mais je n’avais pas eu le courage d’attendre. En route, sous la lueur insuffisante du tramway, je surprenais, d’un coup d’œil, quelques lignes de l’article. Un mot me renseignait. Je connaissais, moi aussi, la merveilleuse hypothèse de Benjamin Prévotelle. Je savais, et, sachant, je croyais.

On se rappelle le point où j’en étais resté de ma lecture incommode. Benjamin Prévotelle avait été amené à conclure, de ses études et de ses expériences, d’abord que les images de Meudon étaient de véritables projections cinématographiques, et ensuite que ces projections, ne venant d’aucun endroit de l’amphithéâtre, devaient venir de plus loin. Or, voilà que la dernière vision, celle de la journée révolutionnaire du 21 janvier, était entravée par un obstacle. Quel obstacle ? Et comment, dans l’état d’esprit où se trouvait Benjamin Prévotelle, comment ne pas lever les yeux vers le ciel ?

Le ciel était pur. L’était-il au delà des limites que l’on pouvait observer des gradins inférieurs de l’amphithéâtre ? Benjamin Prévotelle monta jusqu’au faîte et regarda l’horizon. Là-bas vers l’Occident, des nuages flottaient.

Et Benjamin Prévotelle continuait, en répétant sa phrase :

— « Des nuages flottaient ! Et du fait que des nuages flottaient à l’horizon, les visions de l’écran devenaient moins nettes ou même s’évanouissaient ! Coïncidence ? dira-t-on. À trois reprises différentes, alors que le film perdait de son éclat, je me tournai vers l’horizon : les trois fois, des nuages passaient. Trois coïncidences de cette sorte peuvent-elles être produites, par le hasard ? Est-il un esprit scientifique qui n’y doive voir une relation de cause à effet, et qui ne soit forcé d’admettre que, dans cette occurrence, — et dans telles autre visions observées jusqu’ici et qui furent troublées par une cause inconnue — l’interposition des nuages agissait à la manière d’un voile en interceptant la projection au passage ? Je ne pus faire une quatrième épreuve. Mais qu’importe ! J’avais pénétré assez avant pour qu’il me fût permis de travailler et de réfléchir sans qu’aucun obstacle m’arrêtât. On ne reste pas à mi-chemin de certaines vérités. Quand on les entrevoit, elles se découvrent à vous entièrement.

« Certes, au premier abord, la logique scientifique, loin de ramener l’explication que je cherchais si avidement, aux données de la science humaine, me jetait, presque en dépit de moi-même, dans une région plus mystérieuse encore.