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LE FORMIDABLE ÉVÉNEMENT
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Elle dit, après un instant de réflexion :

« J’ai beaucoup parlé d’elle, en revenant de là-bas, avec Antonio. Savez-vous bien Simon, que cette jeune femme n’est pas seulement très belle, mais qu’elle est capable de sentiments très nobles, très élevés. Son passé, je l’ignore, il y a là, d’après Antonio, des heures assez troubles. Mais depuis… depuis… malgré le genre de vie qu’elle mène, malgré toutes les passions qu’elle inspire, elle demeure à l’écart. Vous seul l’avez émue vraiment, Simon. Pour vous, d’après ce que j’entrevois, d’après ce que m’a dit Antonio, lequel n’est, somme toute, qu’un amoureux éconduit et plein d’amertume, pour vous, Dolorès se serait sacrifiée jusqu’à la mort, et cela, dès le premier jour. Vous le saviez, Simon ? »

Il garda le silence.

« Vous avez raison, dit-elle. Vous ne pouvez pas répondre. Cependant il est un point, Simon, où je vous demande la vérité absolue. Je puis vous regarder bien en face, n’est-ce pas. Il n’y a pas au fond de votre être un seul souvenir qui nous sépare ?… pas une faiblesse ?… pas une défaillance de pensée ?… »

Il l’attira contre lui, et, lèvres contre lèvres, il lui dit :

« Il y a vous Isabel, uniquement vous, vous dans le passé, et vous dans l’avenir.

— Je vous crois Simon », prononça-t-elle.

Un mois après, le mariage avait lieu, et ils prenaient possession de l’épave de la Ville-de-Dunkerque, demeure officielle du haut-commissaire français des nouveaux territoires.

C’est là que fut signé, sur la proposition et d’après les études préliminaires de Simon Dubosc, le projet du vaste canal qui devait couper l’isthme de Normandie en laissant, à droite et à gauche, aux deux pays, une portion de terrain à peu près égale. C’est là que fut signé l’acte solennel d’après lequel l’Angleterre et la France se déclaraient une éternelle amitié et fondaient les bases des États-Unis d’Europe.

Et c’est là que naquirent les quatre enfants de Simon et d’Isabel.

Bien souvent, par la suite, accompagné de sa femme, Simon, à cheval ou en aéroplane, alla rendre visite à son ami Edwards. Guéri de ses blessures, Edwards se mit au travail et dirigea, sur les nouveaux rivages anglais, une vaste entreprise de pêcheries à laquelle il avait attaché Antonio. Edwards se maria. L’Indien vécut longtemps seul, dans l’attente de celle qui ne venait pas et dont personne n’entendait parler.

Un jour il reçut une lettre et s’en alla. Quelques mois après, il écrivait du Mexique, et annonçait son mariage avec Dolorès.

Mais la promenade favorite d’Isabel et de Simon les conduisait surtout auprès du vieux père Calcaire. Il habitait, lui, contre la grotte de l’étang, une modeste villa en bois, où il poursuivait ses études sur la terre nouvelle. Les cascades d’or, épuisées, ne l’intéressaient plus, et c’était du reste un problème élucidé. Mais quelle énigme indéchiffrable que cette construction attachée à un terrain de l’époque éocène !

« Il y avait à cette époque des singes, affirmait le père Calcaire, cela est hors de doute. Mais des hommes ! et des hommes capables de construire, d’orner leurs demeures, de sculpter la pierre ! Non, je l’avoue, c’est là un phénomène qui déroute toutes les idées. Qu’en dis-tu, Simon ? »

Simon ne disait rien. Une barque se balançait sur l’étang. Il y prenait place avec Isabel et ramait nonchalamment, sans que jamais, de cette eau pure où elle s’était baignée par un soir voluptueux, surgît l’image de Dolorès. Simon était l’homme d’une seule femme, et cette femme était celle qu’il avait conquise.