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LE FORMIDABLE ÉVÉNEMENT
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nir à l’hôtel, mais il n’eut pas le courage d’attendre, et c’est à la lueur d’un réverbère qu’il décacheta l’enveloppe et qu’il lut ces lignes :

« Simon,

« Je vous écris en toute confiance, avec la certitude heureuse que toutes mes paroles seront comprises et ne provoqueront en vous ni rancune ni amertume, ni même, après le premier choc douloureux, de réelle détresse.

« Simon, nous nous sommes trompés. S’il est juste que notre amour, que notre grand et sincère amour, domine toutes nos pensées et soit le but de toute notre vie, il n’est pas juste que cet amour soit notre seule règle et notre seul devoir. En partant, nous avons accompli un de ces actes qui ne sont permis qu’à ceux dont le destin a contrarié obstinément tous les rêves et détruit toutes les joies, un acte d’affranchissement et de révolte, auquel on a droit quand il n’est pas d’autre recours que la mort. Est-ce notre cas, Simon ? Qu’avons-nous fait pour mériter le bonheur ? Quelles épreuves avons-nous subies ? Quels efforts avons-nous tentés ? Quelles larmes avons-nous versées ?

« J’ai beaucoup réfléchi, Simon. J’ai pensé à tous ces pauvres gens qui ne sont plus et dont le souvenir me fera toujours trembler. J’ai pensé à nous deux et j’ai pensé à ma mère, que j’ai vue mourir aussi… Rappelez-vous… Nous parlions d’elle, et des quelques bijoux qu’elle m’avait confiés en mourant. Ils sont perdus et cela me cause tant de peine !

« Simon, je ne veux pas considérer cette chose, et moins encore tous les malheurs de cette affreuse journée, comme des avertissements qui nous sont destinés. Mais je veux, du moins, que cela nous serve à regarder la vie d’une autre manière, et à lutter contre les obstacles avec une âme plus noble et plus vaillante. Le fait que nous vivons encore, vous et moi, alors que tant d’autres sont morts, nous interdit tout ce qui est faiblesse, mensonge, équivoque, tout ce qui n’est pas le plein jour et la pleine lumière.

« Conquérez-moi, Simon. Pour ma part, je vous mériterai à force de confiance et d’obstination. Si nous sommes dignes l’un de l’autre, nous réussirons, et nous n’aurons pas à rougir d’un bonheur qu’il nous faudrait payer maintenant, je l’ai senti plusieurs fois aujourd’hui, par trop d’humiliation et trop de honte.

« Simon, vous ne chercherez pas à me revoir, n’est-ce pas ?

« Votre fiancée : Isabel. »

« allons, pensa-t-il, l’heure de l’action est venue »
« allons, pensa-t-il, l’heure de l’action est venue »
« allons, pensa-t-il, l’heure de l’action est venue »

Simon resta quelques secondes interdit. Comme l’avait prévu miss Bakefield, le pre-