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LES MAINS AUTOUR DU COU

son devoir, — lui avait conseillé de faire — l’avait moralement contrainte à faire.

Patrice vivait des heures affreuses. Il attendait de jour en jour, d’heure en heure, la catastrophe qui le menaçait, le coup de tonnerre qui éclaterait, détruisant sa respectabilité, sa réputation, le respect qu’on lui portait, tout ce qui était sa vie. Il n’était pas de ceux pour qui le scandale ne compte pas. Élevé rigidement, dans des principes sévères, il n’avait jamais admis pour les autres la défaillance d’un moment de folie. Cette défaillance, il l’avait eue, elle l’humiliait, le brûlait comme une plaie secrète… Et cette défaillance, d’un instant à l’autre pouvait être révélée publiquement. C’était miracle que le chauffeur du taxi où Antoine avait oublié la bouteille de champagne vide n’eût pas encore donné signe de vie… Cet homme préparait peut-être un chantage. Et du reste tout était redoutable. N’importe quel incident pouvait survenir qui dévoilerait la vérité, qui les désignerait, lui et sa femme… Alors ce serait leurs noms livrés à la publicité, leurs actes racontés partout, leur participation à l’immonde débauche, à la criminelle fête… Dominique, la fière et chaste Dominique, soupçonnée, convaincue de s’être livrée au premier venu en présence de son mari… et lui, Patrice Martyl, suspecté d’avoir tué une prostituée qu’il étreignait lubriquement, en plein air, en pleine orgie… Ce serait la déchéance irrémédiable, la honte définitive… ce serait — il y était décidé — le suicide.

Sous la pression de pareils tourments, la force d’âme de Patrice fléchissait. Il ne pouvait plus être seul en face de ses angoisses dévorantes. Il ne pouvait plus vivre ainsi, torturé par l’appréhension… À qui se confier ? demander sinon secours, au moins réconfort ?… Il ne voyait plus Richard et Antoine. Leur présence l’humiliait. N’avaient-ils pas été témoins et complices ? Il les haïssait aussi, furieusement, de tout son être, de tout son doute jaloux. À qui se confier ?… Il a besoin de secours… Alors une seule créature au monde… Dominique…

Sous l’empire de cette idée, un soir il rentra du Palais plus tôt que de coutume. Il était à bout de forces.

Jusqu’à présent, il avait tenu Dominique à l’écart de la tempête,